Crise des opiacés aux États-Unis

Poursuite contre un important distributeur de médicaments

Les grossistes qui distribuent les médicaments ont une responsabilité importante dans la crise liée à la surconsommation d’opiacés sur ordonnance aux États-Unis et doivent dédommager les administrations publiques frappées de plein fouet par la multiplication du nombre de cas de toxicomanie et de surdoses.

Telle est, du moins, la prétention de la Virginie-Occidentale, qui a lancé il y a quelques mois une poursuite visant le plus important distributeur de médicaments en Amérique du Nord, McKesson, après avoir lancé une démarche similaire contre plusieurs entreprises de moindre envergure il y a quelques années.

La requête déposée par le procureur général Patrick Morrisey relève que McKesson a livré dans cet État, sur une période de cinq ans, des dizaines de millions de doses d’opiacés prescrits comme antidouleurs même si nombre des commandes étaient « suspectes » et auraient dû être refusées à la suite de vérifications plus poussées.

La firme, précise le document, a « fermé les yeux » et n’a pris aucune mesure significative pour empêcher le détournement de médicaments à des fins illicites, même si elle savait que ses produits étaient susceptibles d’être utilisés à cette fin.

À l’appui de sa demande, la Virginie-Occidentale précise que McKesson a livré de 2007 à 2012 près de 100 millions de pilules d’oxycodone et d’hydrocodone dans l’État, qui compte aujourd’hui 1,8 million d’habitants.

Dans le comté de Boone, qui compte 25 000 habitants, près de 1,3 million de doses ont été vendues durant cette période.

Le volume d’opiacés vendu était suspect « à sa face même » et aurait dû amener l’entreprise à procéder à des vérifications pour s’assurer que les produits livrés dans les pharmacies n’étaient pas ultimement détournés vers le marché noir. Elle a plutôt continué durant ce temps à payer des commissions à ses vendeurs pour les récompenser de leurs efforts, « plaçant ses profits avant le bien-être de la population » locale, allègue la poursuite.

Le procureur général de la Virginie-Occidentale, en lançant la procédure en janvier, a déclaré qu’il s’agissait d’un « pas important » pour venir à bout de la « terrible » crise qui frappe son État. Il refuse aujourd’hui de commenter publiquement le dossier.

McKesson a indiqué, par courriel, qu’elle n’était pas « en mesure » de commenter spécifiquement le litige.

D'AUTRES DISTRIBUTEURS VISÉS

La poursuite intentée en 2012 contre une douzaine d’autres distributeurs de moindre envergure, qui est toujours pendante, évoquait la même problématique sans apporter de précisions sur les volumes de ventes dans l’État de chaque entreprise ciblée. Une version amendée contenant des informations à ce sujet a été déposée par la suite, mais elle n’est pas accessible au public.

La requête initiale indiquait à titre d’exemple, sans préciser l’identité de ses fournisseurs, qu’une pharmacie située dans une petite ville de 300 habitants, Kermit, avait reçu plus de 3 millions de doses d’opiacés en un an seulement.

Le pharmacien responsable, qui remplissait des ordonnances produites en série par une « clinique » frauduleuse, a été arrêté quelques mois plus tard à la suite d’une enquête conjointe du FBI et de la Drug Enforcement Administration (DEA) et condamné à six mois de prison et 500 000 $ d’amende.

L’une des firmes ciblées par la Virginie-Occidentale, Miami Luken, a conclu récemment une entente à l’amiable avec l’État en acceptant de verser une somme de 2,5 millions. Les autres sociétés continuent cependant de contester vigoureusement la procédure.

Une source bien au courant du dossier a indiqué à La Presse que les distributeurs de médicaments craignaient, en acceptant un règlement à l’amiable, de créer un coûteux précédent. Un certain nombre d’États américains sont aux prises avec un problème de surconsommation d’opiacés sous ordonnance et pourraient être tentés d’emboîter le pas à la Virginie-Occidentale si elle obtient gain de cause.

PÉNALITÉ ET SUSPENSIONS DE LIVRAISONS

McKesson doit aussi composer avec les doléances du gouvernement fédéral. Et plus particulièrement de la DEA, qui multiplie les pressions sur les entreprises du secteur de la distribution pour éviter que les médicaments contrôlés comme les opiacés ne soient détournés vers le marché noir.

Dans un rapport soumis à la Securities and Exchange Commission (SEC) en avril 2015, l’entreprise disait avoir conclu un « accord de principe » avec la DEA portant sur ses pratiques en matière de signalement de commandes « suspectes » de médicaments contrôlés.

Le rapport précisait que McKesson s’est engagée à payer une pénalité de 150 millions, en plus de suspendre la livraison de médicaments contrôlés, pour des périodes de un à trois ans, dans quatre centres de distribution situés au Colorado, au Michigan, en Ohio et en Floride. Le document n’identifiait pas la nature exacte des médicaments dont il est question, sauf pour le centre floridien, où l’interdit porte sur les produits à base d’hydromorphone, un opiacé.

McKesson a indiqué à La Presse que « l’accord de principe général » conclu avec la DEA visait à « résoudre » toutes les réclamations potentielles examinées par l’organisation américaine et le ministère de la Justice et prévoyait l’interruption de la distribution d’opiacés « à partir d’un petit nombre de centres de distribution ».

La firme dit avoir « considérablement amélioré son programme de surveillance des médicaments sous ordonnance » dans le cadre de cet engagement et presse les gouvernements de « sévir contre ceux qui contribuent sciemment au trafic illégal des substances contrôlées ».

La DEA a refusé de commenter l’accord en soulignant qu’il n’était pas encore formalisé.

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